Duralex : le soutien de l’ESS à la reprise en SCOP

Juil 16, 2024 | Temps forts

Les Duralex, récit d’une mobilisation inédite en région, par ceux qui la vivent.

A la Chapelle-Saint-Mesmin (45), les salariés de l’entreprise Duralex retiennent leur souffle.

En effet, mercredi 17 juillet prochain, le tribunal de Commerce d’Orléans rendra son verdict. Au bout de l’attente, soit une reprise classique par la SARL Tourres et Cie soit le début d’une aventure collective et inspirante pour toute la région avec une reprise par les salariés sous forme de coopérative.

Pour mieux comprendre la genèse de ce projet, nous vous livrons le témoignage de deux salariés qui participent activement à sa construction ainsi que celui du directeur de l’Union régionale des SCOP (URSCOP).

Suliman El Moussaoui (SEM), délégué syndical CFDT, salarié depuis 17 ans chez Duralex, conducteur machines. Vasco Da Silva (VDS), secrétaire du CSE, CFDT, salarié depuis 10 ans chez Duralex, conducteur du four.

Pouvez-vous nous dire où en est la situation à ce jour ?

SEM : La coopérative est un projet parmi trois offres de reprises : celle de la SARL Tourres et Cie, celle d’ un fonds d’investissement et celle portée par une grande partie des salariés de Duralex.

La reprise en SCOP, généralement, c’est lorsqu’il y a une liquidation judiciaire. Chez nous ce n’est pas le cas car nous sommes en redressement judiciaire. La SCOP est souvent vue comme une solution de repli, alors que là c’est un dossier parmi les autres dossiers mais qui bénéficie du soutient des salariés.

VDS : C’était pour ne pas être pris de court devant le tribunal, pour avoir un dossier dans lequel on croit, un dossier qui est là, qui est viable. Le tribunal fera la part des choses dans ce qui lui semble être le mieux. Pour nous, c’est une solution que l’on devait porter si jamais il n’y avait pas de repreneur.

SEM : Il s’avère que l’on a fait le bon choix car dans l’autre offre il y aura de la casse sociale, et dans le choix de la SCOP, il n’y a pas de casse sociale.

On a travaillé en amont la SCOP, on est préparés à la décision du tribunal. On a déjà fait un conseil d’administration provisoire, on a rédigé les statuts, on a bien avancé.

VDS : Actuellement, nous sommes 228 salariés, et sur ce nombre : 150 personnes ont financé le projet SCOP, y contribuent pour être sociétaires et rentrer dans le capital. Cela représente 60% des salariés au total, plus ceux qui sont favorables mais qui ne peuvent pas y s’impliquer davantage. Pour avoir le détail des pour, nous allons faire un tour d’usine la semaine prochaine pour recueillir l’avis des gens, car c’est cela que l’on doit porter au tribunal, la parole des salariés. Nous allons leur faire une synthèse des offres afin qu’ils puissent se faire un avis. Au tribunal, l’offre de la SCOP sera portée par le directeur de l’usine M. Marciano et nous donnerons notre avis avec celui des salariés que nous aurons recueilli.

SEM : C’est le salarié qui compte. Environ 49 personnes perdraient leur emploi avec l’autre offre de reprise. Avec la SCOP aucune.

Comment en êtes-vous arrivés à cette idée de SCOP ?

SEM : Le directeur de site Monsieur Marciano nous a contacté à la CFDT, nous nous sommes renseignés auprès de notre fédération et de notre l’Union départementale Loire-Centre, nous avons été mis en contact avec Vincent Javicoli, directeur de l’URSCOP et Florence Delacroix, la déléguée au développement de l’URSCOP en région Centre. Ils nous accompagnent sur la partie opérationnelle. Ils nous apportent vraiment leur éclairage, sur la manière de faire, de travailler le projet de reprise. Les deux nous soutiennent depuis le début.

Que pensez-vous de la mobilisation qu’il y a eu autour ?

SEM : Nous on savait depuis le début que Duralex était une marque iconique connue mondialement. La Région Centre-Val de Loire, la métropole d’Orléans ainsi que des députés de la région y croient et nous ont apporté leur soutien. Nous voulons collectivement démontrer au gouvernement que le modèle de la SCOP peut être une solution viable, plutôt que de penser en premier lieu à des banques d’affaires ou des fonds d’investissements.

VDS : Il y a beaucoup d’entreprises en région. Les pouvoirs publics, qui gèrent un gros pôle de travail, ont déjà été confrontés à des reprises classiques avec des actionnaires qui reprennent des boites puis les ferment pour diverses raisons. Pour eux, soutenir l’idée de la SCOP, c’est essayer de la garder comme elle est là, et surtout ne pas la fermer dans 3 ans pour diverses raisons, comme ils ont l’habitude de le voir.

SEM : Duralex est un fleuron industriel de la région orléanaise qui mérite cela.

VDS : Duralex, le nom de la verrerie a toujours été lié à la Chapelle Saint-Mesmin, le site mère originel depuis 1945.

SEM : Il faut savoir qu’à l’époque il y avait plus de 4000 personnes ici, ça a fait beaucoup travailler tout le secteur d’Orléans, et aujourd’hui encore l’usine fait travailler des familles entières.

VDS : sans compter les prestataires du coin, et de toute la France. C’est un emblème de la Région.

Connaissiez-vous l’ESS avant ce projet de reprise en SCOP ?

SEM : On connaissait via le système des coopératives agricoles notamment. Mais pas pour le monde industriel.

Ce qui est intéressant, c’ est de savoir que l’argent reste dans l’entreprise, c’est une bonne chose. C’est vraiment équitable, pour tous  les salariés qu’ils soient actionnaires ou non , que chacun touche sa part, ça c’est intéressant. Et surtout c’est qu’il y a un conseil d’administration élu par les salariés, et donc cela veut dire qu’ils ont un vrai pouvoir de décision. C’est plus démocratique.

VDS : C’est aussi le seul moyen pour se reprendre en main nous-même, que l’on essaie de faire du chiffre que l’on retouchera dans tous les cas, que ce soit par l’entreprise en remettant au capital ou même directement redistribué par le travail. Cela évite de se retrouver dans une situation, comme ça a pu l’être ailleurs, où un repreneur vient, s’arrange pour faire du chiffre, juste ce qu’il faut ici, mais marge ailleurs.

SEM : On est engagés pour sauver nos emplois. On sait que Duralex est une marque médiatique et que l’on va être regardés, et peut-être même un modèle pour certaines entreprises.

VDS : Du point de vue des salariés, il y a des personnes qui sont pour la scop par rapport au fait que cela permet de s’impliquer dans son entreprise et d’être là et de contribuer à son fonctionnement. Il y en a qui s’engagent pour ça, pour rentrer au CA ou simplement participer en AG pour donner leur avis, et d’autres qui s’engagent juste pour sauver leur emploi, par dépit. Il y a plusieurs degrés d’engagement au niveau des salariés.

SEM : Au final, il faut qu’il y ait un maximum de salariés qui soutiennent la SCOP quelles que soient leurs raisons. Cela passe par faire beaucoup de terrain, expliquer un par un.

La SCOP est l’un des modes d’entreprendre dans l’économie sociale et solidaire. Mais c’est viable économiquement une SCOP ?

SEM : On sait que l’inconnu ça fait peur. Pour s’être renseignés, on a compris que durant les différentes crises (covid, énergie, Ukraine) ce sont les SCOP qui traversent le mieux ces épreuves et résistent. De le savoir, ça rassure.

VDS : Derrière il y a un vrai business plan, ainsi qu’un audit commercial, financier et industriel pour donner un avis sur la viabilité du projet. Tout a été jugé favorable, donc ça nous motive encore plus à porter ce projet. Et ça rassure tout le monde, notamment les banques ! »

Vincent Javicoli, directeur de l’URSCOP Centre-Val de Loire

« Le 17 juillet, le tribunal décidera si la solution de la Scop est retenue pour Duralex.

Nous avons fait en sorte avec notre accompagnement des Duralex de nous assurer que leur projet et leur offre soient crédibles.

Cet accompagnement s’est composé notamment d’audits marketing, industriel, et financier ; d’aide à la constitution juridique et humaine de la Scop (rejoints par 138 salariés sur les 228 actuels); par l’accompagnement sur le tour de table financier. Ces différents éléments nous ont permis de proposer une offre qui a ses chances, même si le tour de table financier reste un vrai enjeu.

Nous avons d’autres exemples de succès de reprises en Scop. Pour ne s’en tenir qu’à la Région Centre-Val de Loire, on peut évoquer l’industrie en Scop CETIL, reprise par les salariés les années 80 dans l’Indre et Loire. Elle est une illustration, parmi d’autres en France, que le modèle de reprise en Scop peut fonctionner sous réserve qu’un modèle économique existe.

Concernant Duralex, nous avons besoin de soutiens publics, qui se sont très tôt manifestés, à travers les soutiens très forts de la Région Centre-Val de Loire et de la Métropole d’Orléans. La mobilisation politique a d’ailleurs été historique.

Au demeurant, à travers le cas Duralex, se jouent de nombreux défis de l’économie et de l’industrie françaises. Une reprise en SCOP de Duralex permettrait notamment de montrer que d’autres formes de reprises et transmissions d’entreprises sont possibles, autres que les LBO classiques, répondant à des logiques avant tout financières.

On peut proposer l’hypothèse que la reproduction d’un même schéma actionnarial serait susceptible de conduire aux mêmes effets aux mêmes effets, à l’image de nombre d’entreprises malmenées par des logiques financières.

Le modèle Scop, encore une fois pour peu qu’il y ait un projet économique crédible et viable, permet de s’assurer que les efforts sont tournés exclusivement vers la pérennité et le développement de la société. Par là-même, il permettrait également le maintien des savoir-faire locaux, d’une technologie et d’une marque française historique.

Il existe deux conceptions de l’ESS :

– une réparatrice, visant à colmater les externalités négatives du modèle dominant

– une plus offensive : créatrice, innovante, démocratique. Le projet de Scop Duralex, dès lors qu’il apparaît crédible économiquement, s’inscrit dans cette conception. »

En tant que porte-parole de modes d’entreprendre différents, la Chambre régionale de l’Economie Sociale et Solidaire soutient pleinement le projet de reprise en SCOP et se félicite des multiples soutiens reçus par les différents acteurs de l’ESS en Région.

 

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